Propre Opprobre Acte IV scène V

Acte IV scène V
Vérance, Le Comte, Maranel, Clorinthe, Clémence.

Le Comte
Vérance il me tarde, entrez je vous prie,
Que vous souffriez de mon avanie.
Las, de mes gonds je ne veux en sortir,
Mais de ceux-ci vous ne pourrez vous issir. 
Avouez, que les huis fassent votre engeance :
Si ce n’est que votre plume soit véloce,
Votre outrecuidance, elle, est bien féroce. 
Et d’un imposteur, je tiendrai vengeance. 
Dans l’heure, miséricorde, sera la noce.
Fi, parlez !

Vérance 
(à lui-même)
Sa colère est bien précoce…
(Au comte)
Que me vaux le bonheur de votre infante,

Le Comte
Palsambleu ! Cette astuce qui me hante.

Vérance
Elle, qui voit sa grâce comme dans un bouquet
Aux milles fragrances, se jette aux acquêts
Qu’elle dissémine de son amant la lucre.
Ses paupières, charmante que l’on croyait être,
En fait ses larmes les voyaient trop mucres.
Dame ! Union lasse, comme messe sans prêtre.
Et ce mariage, ce ne sont mes ouvrages
Qui, par ses frasques, le laisseront plus sage.

Le Comte
Il n’est pour vous de solde à l’hymen,
Ni d’une alliance à motiver l’aubaine,
Mais de composer des vers aux fiancés
Assurant au foyer félicité.

Vérance
Que de superstitions…
(Clorinthe et Maranel entrent en se chamaillant)
Voilà Clorinthe !
Et Maranel qui, d’une promesse succincte 
A, dès lors, tu la peine qui me resquille.
Béni soit la peste qui l’égosille.
Amen, va !

(Maranel éternue bruyamment)

Le Comte
Ah ! Clorinthe, bel enfant,
Amenez vite au mitron ce manant,
À tâter du bâton et qu’il ne bride
Surtout cette violence dont il est avide. 

Clorinthe
Maître, ne blâmez ce fidèle érudit :
La passion est sa force, point son envie.  

Vérance
Je reconnais fauter à ma mission,
Mais ne niez point mon imagination.

Le Comte

Souffrez donc qu’à cette douce élégie
Je reste sourd.
(Maranel tousse à s’en broyer les glaviots)
Que signifie ceci ?

Clorinthe
Le pauvre valet se lamente autant
De l’injuste noirceur du froid mordant
Et du spasme qui le rend sourd à Vérance.

(Maranel éternue de plus belle)

Le Comte
Ce n’est pas un spasme, c’est une souffrance !

Vérance
Ah ! Vais-je profiter de sa clémence ?

Clorinthe
Le dramaturge regrette aux courtisans,
La volupté de sa plume en est l’artisan ;
Las, libérez-le de votre colère,
Qui vous écroue en cette prison amère.
Elle berce dorénavant le cœur
De dame Varlatine, qui est ma sœur.

Le Comte
(en s’inclinant)
Votre sœur ? Princesse !

Vérance
Bon sang de pétard,
Voilà soudain ma ruse qui s’égare…

(Le Comte fait le baisemain à Clorinthe)

Clorinthe
Monsieur le Comte, il faut que cela cesse.

(Clorinthe retire vivement sa main et s’éloigne, le Comte lui attrape la jambe et se laisse traîner au sol comme une serpillère)

Le Comte
Que Sa Majesté ne refuse céant
L’expression d’une courtoisie d’antan !

Vérance
Monseigneur n’a plus d’ouïe pour me maudire,
Serait-ce opportun pour moi de sortir ?

(Maranel tousse puis se racle la gorge)

Maranel
Voilà que le don de la voix me fait
Capable de dénoncer son forfait.

Clorinthe
Lâchez donc ma crinoline !

Maranel
Je répète…

Le Comte
(à Clorinthe)
Laissez-moi vous chanter quelques courbettes.

Vérance
(s’approchant de la sortie)
Ô odieuse poterne le cadenas
Se ferme et se verrouille sur mon trépas.

Maranel
Oui, da ! Voulez-vous que je vous dévoile
Que ce charlatan…

Clorinthe
Il déchire la toile !
Rien de cela ne m’amuse.

Le Comte (trébuche et se relève dans les jupons de Clorinthe)
Oui ma muse ?

Clorinthe
(à Maranel)
Reste donc muet, valet de la cambuse.

Vérance (entrebâille la porte qui s’ouvre sur Clémence)
Ciel ! Voilà Clémence, la fille du Comte.

Clémence
Dieu ! Mon Père quels jupons couvre de honte.

Clorinthe
Sire, je n’ai vous servir d’autres grandeurs,
Point suis-je reine, comme aucune ma sœur.

Maranel
Et Vérance qui s’en va n’a pour loi,
Que d’atermoyer d’aloi ce qu’il doit.
Il procrastine tout ce temps, voilà quoi !

Le Comte
Allons, mon bon Vérance, expliquez-moi.

Vérance
(au public)
Est-ce un crépuscule qui sur moi resplendit,
Un éclat de ma honte, de ma vilénie ?
Voilà que mes recours se changent en remords,
Que de rudes moires plus malicieuses encore
Se vengent du délai que j’avais épargné.
Aujourd’hui m’est une corde m’ayant ligoté
Strangule les recoins intouchables
De fabuloseries ineffables.
Fallait-il que l’on m’accable de cette ire ?
Mon défaut, je le déplore, est de fuir.
Ô douce mascarade, congédie de ma coulpe
Cette lueur rouge, cette lanterne fugace,
À l’acmé du sursis, quand la sentence s’agace.
Je traîne, j’avoue, j’ai besogne souple.

Clémence
Permettez, d’abord, que je vous informe,
Messire mon père du gage difforme
Que je refuse, et c’est bien plus sage.
Non, mon père, ce soir : point de mariage.
Pardon cher Vérance que d’abandonner :
Votre endurance aura démérité
Que ne puisse accoucher de votre verbe
En vain les plis salins de mon proverbe.

Le Comte
À cette union n’étais-tu épanouie ?

Clémence
Le destin et la vie l’ont rendu fade.

Le Comte
Mon enfant si ce pas est réfléchi,
Je n’ai d’injonction par-devant l’alcade. 
Et les torts de Vérance dont j’ai fait grief
N’ont lors plus de causes et coulent jusqu’au bief.

(Tous sortent, Vérance reste seul)

Vérance
De cette scène instruisons un adage :
Or il n’y a de labeur d’un jeune âge
Et utile sous la lanterne rouge
Que d’une cause détachée de la gouge. 
Point de regret pour l’œuvre à l’amorce :
Patience et attente valaient cette entorse. 

FIN