silhouette photography of horse riders on trees

Un Atardecer Rojo

Galop, trot, galop, trot, trop, Galop… Mince. Je me suis encore trompé. Fernande ma jument a le caractère qui se gâte… Elle me descend délicatement de mon trône pour me dire séance tenante « Écoute moi bien Barnabé, si tu n’arrives pas à retenir une séance de trois répétitions avec un soupir de démarcation et une attitude décontractée, je te le demande où allons-nous? Sachant qu’il reste 163 miles avant la prochaine station.

Cesse de faire le polisson et conduis-moi ! »

Je m’appelle B.B. pour Barnaby Brown. Et elle, c’est Fernande. Ma jument. Elle a vécu dans un bordel de renom une bonne partie de sa vie chez mon amie Vani, mère maquerelle de son état. Un lieu de débauche d’exception dans un saloon de grande classe. Il y avait même un jeune timoré pour garer vos chevaux à l’entrée avant d’aller conter fleurette à l’élue de votre cœur ou de raccommoder la crinoline de quelqu’un. Cela dépendait surtout de la chambre choisie et de son occupante. Une fois, lors d’une dégustation de breuvage, servi directement à même cette fiole en beau cristal, biberonnée elle-même par une bouteille en verre sans étiquette, il va sans dire, j’ai entrevu une très belle dame espagnole aux cheveux noirs d’ébènes poursuivre un client en hurlant « vient donc là coquin que je te querelle ». Ne cherchant pas à en savoir plus, j’ai adoré cette matinée-là.

Grand admirateur des exercices de gymnastiques matinales de lulu la nantaise qui séjournait au troisième étage, et de beaufort piedmont au troisième balcon en partant de la gauche, je m’exalte à penser que cette vie de débauche est finalement est une très bonne idée. Troisième garçon d’une fratrie de trois gaillards, nous serions restés en Europe, j’aurais dû finir prêtre. L’ainé est devenu comte et a hérité de la demeure familiale, des terres et des créances. Si la bonne fortune venait seule, il n’y aurait pas tant de personnes dans les églises! Le second est premier lieutenant, fier comme Artaban de défendre notre drapeau, et bien moi, j’y préfère les drapées, de soie, il va sans dire !

Curé… me voyez-vous donc ? Certainement pas moi ! N’y voyez là aucune contrindication religieuse. Très pieux de nature, je remercie constamment le ciel de m’avoir donné une tête, deux jambes, une langue câline et un cœur saillant.

Bref, une belle brochette que cette famille Brown ! Je ne côtois que rarement cette dernière aujourd’hui, car la distance physique vient s’entremêler avec la distance holistique. Et puis, par ailleurs, je me retrouverai par la force des choses en soutane et cela, je n’y concède pas !

Dès mon arrivé aux Amériques jusqu’en 1900, j’ai bivouaqué de ville en ville pour y trouver une place qui me dise bonsoir, une sorte de lanternon d’église qui s’allume à mon passage et termine sa course par enlacer mon ombre. Parfois d’ailleurs, mon ombre appréciait tellement ces interludes nocturnes qu’elle délassait ses souliers, me quittait quelques heures pour revenir fatiguée aux premières lueurs du jour. De bonne facture, je me contentais de sourire et ne posais jamais de question sur les tenants et aboutissants de ses exercices noctambules.

À 10:14 du matin un mardi, au détour d’un marchand de tapis bougon et antipathique, l’on me conseille alors un receleur de livre pour qui d’entrain mon âme se gâte prestement, car j’ai toujours aimé la compagnie des pages. Dans l’échoppe, on sent la poussière et l’encre des mots. Un petit guéridon couvert d’une broderie à décor de lys égaie mon regard. Le portrait d’une jeune femme y siège fièrement. Elle porte un col rond dentelé qui s’étend sur ce qui semble être une robe pourprée, mais ce qui me frappe au grand bruit ce sont ses yeux, dont tous les océans ne pourraient rendre une parure plus bleue. Ô que ce cadre m’attire, et mon désir s’étend le temps d’un soupir.

L’aiguille de ma montre à gousset est partie chanter la ritournelle. Diantre. Revenons à notre arrêt ! D’un regard éparse on distingue des livres absolument partout. Je baisse la tête, des livres. Je tourne la tête à droite, des livres. Je tourne la tête à gauche, des livres. Je monte les yeux au ciel, des livres, mais j’esquive de justesse ceux qui viennent de se casser la figure du haut de cette sentinelle de papier. En ramassant l’arme du crime avorté, j’y rencontre un ouvrage que j’effeuille et dont les descriptions florales m’exaltent. Une sorte d’herbier dont le nombre conséquent et certain d’études végétales me donnent à penser, à rêver. Les couleurs sont encore vives, et je peux pratiquement déceler les différents parfums qui se présentent à moi en dansant.

J’approche du marchand pour régler mon dû. Le vieil homme qui se tient en face de moi sourit. Il me regarde avec insistance..

  • «  C’est amusant, parmi tous ses vieux amis c’est son préféré que vous tenez. Posez sans bruit et filez donc !»

Le vieil homme retourna dans ses grimoires et apposa au passage une main délicate sur ce cadre en bois dont un pouce caressa la chevelure blanche de cette belle enfant qui était la sienne.

Pensif, souriant, de guingois, je marche et me retrouve alors nez à nez avec un établissement qui me semble des plus réconfortant, le saloon Magnifique.  J’y vois dès lors une dame au bas résille étirer les froufrous blanc et bleu de sa robe de scène. Un sourire ni fait rien, effectivement, en face de ce bouquiniste, il y a des boucaniers. Mon histoire champêtre sous le bras je me dis qu’une eau-de-vie de ne serait pas de refus. Timide, j’hésite tout de même à passer la porte. Ces froufrous sont tout de même bien imposants me dis-je tout bas, et puis, pris d’un élan de courage je me décide !

C’était sans compter la lanière en cuire de ma chaussure qui avait décidé de filer à l’anglaise durant ma contemplation. Â les froufrous ! Je me retrouve ainsi séant assis sur mon séant. Un gémissement terrible s’en suit et un ricanement exacerbé. Quelqu’un se moque aisément de mon malheur. Je détourne mon regard et là, c’est une jument qui rigole à gorge déployée.

– « Dis donc jeune homme, ce sont les gambettes de ces dames qui vous mettent le train arrière bas et la verve haute ? Si vous succombez avant d’avoir passé l’entrée, je vous conseille un lait fraise»,  dit-elle en riant à naseaux déployés.

Pour qui se prend-elle, celle-là ?

– « Gare à tes abatis coquins ! »

C’est comme ça que j’ai rencontré Fernande. Nous entamâmes dès lors une amitié fleurie où chacune de mes actions était analysée, critiquée et raillée ! Mais enfin, j’avais enfin trouvé quelqu’un avec qui discuter. Fernande appartenait à cette institution de renom. Les dames la chargeaient de remonter la grande place pour faire quelque emplette et/ou de ramener à l’abreuvoir certains messieurs, quelque peu audacieux. On ne rigolait pas avec la patronne. Elle tenait sa maison virilement, d’une main ferme dans un écrin de dentelle, mais de grâce gare à la bosse si vous ne filiez pas droit. Elle avait toujours un holster à sa jarretelle et tirait dans le mille à chaque fois. Plus d’un être devenu monotesticulaire a entrevu le grand architecte en quittant le saloon. Une aubaine pour l’église d’en face et pour le médecin du village. Au final, je n’eus que peu d’interaction avec elle, mais j’appréciais les discussions que nous eûmes dans les vapeurs de l’alcool, à rêver de châteaux  espagnols et aux tempêtes de rossignols.

J’ai vécu ici quelques années durant, dans une chambre louer à la semaine qui comportait pourtant un petit balcon, que je prêtais volontiers aux quelques coquineries que mon ombre entreprenait. Il y avait un fauteuil tapissé couleur bordeaux que j’eusse utilisé comme fauteuil de lecture. Trois ressorts au postérieur manquaient, de ce fait, j’étais toujours un peu leste et proche du sol. J’adorais placer ce dernier prêt de la fenêtre pour y écrire aux lueurs de la journée, et proche de la lune pour y faire sécher l’encre de mon cœur. Cela contrastait drôlement avec toutes les choses que j’y ai vues, que je ne pensais pas voir ailleurs, autant au bar que sous le bar…

Un frisson me traverse.

Amateur de mots, je quittais souvent mon bordel pour rendre visite à ce bouquiniste et à son magasin poussiéreux où les livres vous invitent à les étreindre plutôt qu’à les lire… Mince. Parfois les boucaniers, reprend le dessus ! On n’étreint pas un livre. Voyons. Que non ! Mais… ce portrait me donne à penser.. Que pour rendre service il faudrait m’aérer. En sympathisant avec ce vieux compère, il eut été convenu que de temps en temps je fasse une menue livraison. Il fallait payer ma chambrée et puis, je ramène bien des ânes sur les prés avoir trop éclusé alors des livres !

Nous voilà de retour sur la piste. Fernande bougonne comme à son habitude, car je ne sais jamais où je vais, mais elle aime bien ma compagnie. On s’attache à ces canassons-là. Aih. J’ai reçu un coup de queue sur la fesse gauche. La marque va rester quelques jours.. Et elle sourit en plus de cela ! Maudite… AIh. Malotru…… AIH.

Arrivant au plus près des rencontres jusqu’au soleil, voilà que Fernande accélère !

– « Veux-tu … bien… reprendre… un… rythme… TRO ! C’est…trop… FERNANDE ! » dis-je en beuglant car mes fesses font office d’amortisseur depuis bientôt un quart d’heure ! Si nous devions continuer durant le temps qu’il reste au trajet..Je n’aime guère cette idée-là !

– « Beugle autant que tu veux Barny, nous devons arriver rapidement ! Il est bientôt l’or ! » Toutes voiles dehors, Fernande rétrograde et sans dire un mot laisse tomber la 5eme roue du carosse.

en fonçant à travers les plaines. Un mélange de terre séchée et de sable m’arrive au visage. J’eus un air de dégout et elle est ri cette …. AIH.

Au bout d’une éternité qui m’a semblé ne vouloir jamais s’arrêter. Fernande freine des quatre fers et effectue un parcage en bataille entre un buisson et un grand arbre. Pas de luminaire pour indiquer la direction. Évidemment, c’est une habitude ! Je me relèva alors, et, j’ai chu. Un rire moqueur me caresse les oreilles et un museau reluisant me pousse le bras.

– « Regarde idiot ! Non, dans l’autre direction, et prend ça »

D’une agilité spectaculaire, Fernande me tend mon petit herbier qu’elle m’enfourne presque dans le bec. Au loin, le ciel se couche et prend cette magnifique teinte rouge. C’est comme s’il enfilait sa robe d’été avant d’aller se coucher. Le moment le plus intime du roi et de sa cour d’étoiles. Toutes les braises des feux éparses sur la planète se concentrent en son sein, et sa lumière perce mon front. Je plisse les yeux pour continuer de le contempler à son apogée. La golden hour, où toutes et tous sommes habillés d’une parure de lumière, comme pour partager sa chaleur. Plus je plisse, plus j’y vois trouble, mais quelque chose au loin m’y voit très clair. Une crinière blanche et blonde qui flotte au vent. Il y a quelqu’un. Au cas où je n’aurais pas compris le message Fernande me mord le coude.

J’y vais.

L’astre n’est pas la seule lumière éblouissante aujourd’hui, et je reconnais la fille du bouquiniste, de ce portrait que j’ai si souvent contemplé. Un bonjour sur des lèvres balbutiées étreint mon être.

– « Que tenez-vous là ? C’est mon herbier, c’est mon atardecer rojo »

C’était un jour semblable à tous les autres, il était donc différent de tous.

Sous un atardecer rojo, je vois tes yeux bleus qui brillent bien davantage que L’Étoile du Sud, ses reflets roses saupoudrent ton regard et donne à cette rêverie un goût d’éternité. Je crois sans dire que je te suivrais au bout du monde. Fernande me fit un clin d’œil depuis sa position tout en me regardant hilare de l’autre côté de sa petite butée que formait un bosquet de terre sèche et de bois fumé. Décidément, cette jument n’a pas beaucoup d’éducation, mais qu’est-ce qu’elle me connaît bien.