a small black bird sitting on top of a wooden fence

De tâtons à trépas

De tâtons à trépas, il n’y a finalement qu’un pas. Les cimetières sont les tendres refuges des âmes oubliées. Et, c’est encore palpitant ou déjà froid qu’on y sautille gaiement, guilleret et d’un pas certains. Très certains, notamment, pour celui qui trébuche d’une marche indélicate et tombe le cul sur une tombe encore ouverte.

-“Bordel ! Heureusement que ce logement n’est pas encore comblé et que ces futurs occupants n’ont pas daigné en faire l’état des lieux pour le moment. L’on dirait par ailleurs l’un de ces petits appartements de bonne que propose Pantrusque à prix d’or avec latrine sur le palier, aération murale naturelle et chauffage à l’espoir.”

Ça sent le sapin. Sortons vite de ce poulailler avant qu’on ne me mette un coup de pelle sur le melon. Je me redresse alors, m’étends sur la pointe des pieds et tente de joindre une racine par les deux bouts.

CRAC. Pissenlit de merde. Je me retrouve de nouveau séant, séant. Décidément, quand on est dans le trou c’est pour y rester. Me direz-vous, généralement les braves gens qu’on met dedans ne font plus la queue au petit bistrot du coin depuis un moment et ne se précipitent malheureusement pas pour en sortir. D’un seul homme, je saute et je me vois alors obligé de planter mes escarpins dans ce terreau même pas sec. Ma mimine ne tient le rebord pâteux que par le Saint-Esprit.

À ce moment, une main ferme m’écrase la patte. “tenez bon et serrez fortement ma paluche dans votre menotte”

Il y a de grandes mains le bougre.

Ho ! Hisse ! Et BOUM.

C’est donc la troisième fois aujourd’hui que je me retrouve le cul par terre. Cette sensation m’irrite quelque peu, mais m’amuse tout autant, car ce n’est assurément pas commun comme chute. Le grand saut, on le fait plutôt dans l’autre sens généralement. Bref, maintenant voyons la trogne de mon bienfaiteur afin de l’en remercier.

Un tour. Un deuxième tour, je manque de retomber dans les limbes au troisième. Personne.
-“ Montrez-vous Monsieur ! Que je vous remercie !”

Rien. Un courant d’air froid frôle ma nuque et me fait trembloter. Je rajuste mon col roulé noir en déroulant davantage de surface protectrice.

-MONSIEUR ! OÙ ÊTES-VOUS?”

Et hop. D’un coup d’un seul, un grand un édredon conséquent et blanchâtre apparaît devant mes mirettes ébahies ! Je m’en retrouve encore une fois sur les fesses, mais cette fois-ci pour une raison différente: la stupéfaction. Finalement, quand le postérieur touche terre, il y a un sentiment rassurant, ce dernier ne peut pas aller plus loin ni plus bas, il est las, mais ferme !

  • « Quelle idée de hurler de telle manière dans un lieu de repos éternel ! On aurait bien envahi de vous y refoutre dans ce grand trou ! »
  • “ non, mais je voudrais vous y voir vous ! Quatre fois sur le cul en l’espace d’une journée, ce n’est pas une maladresse à ce niveau-là, c’est une compétition ! Permettez-moi donc de vous exprimer ma gratitude au pied lever et à gorge déployée. »
  • “Admettons. Je m’appelle Marcel. Qu’est-ce que vous venez donc foutre sur la tombe de Briguitte ?
  • « Permettez ?“ J’observe la tombe encore ouverte qui a bien failli devenir ma dernière demeure. Le nom inscrit dans le marbre est celui d’une certaine Briguitte décédée il y a quelques jours de cela. Je demande donc avec conviction à mon édredon, qui est donc cette dame pour vous ?
  • « Avez-vous déjà aimé monsieur ? »
  • Décidément, quel culot cet ectoplasme. „ Eh bien oui il me semble. J’ai rencontré une Nantaise aux yeux de biche et aux dents brillantes comme des diamants…“ avant que je ne continue ma tirade. Il me stoppe net.
  • « Je vois donc que vous connaissez vos classiques, mais vous ne m‘avez pas l’air d’un fin connaisseur des cœurs perdus et éperdus. Eh bien, vu que vous me le demandez..“
  • « Je ne vous demande rien ! »
  • „ Comme vous me le demandez, je vais vous raconter ce que signifiât être amoureux“

Avant cela, nous discutâmes de tout et de rien. Puis vint le vide.

-« Faire l’amour pour vous c’est quoi ? Pour moi, c’est comme rentrer dans un train. »

-« Quelle inconvenance ! Je vous pensais moins rustre. »
-« Quelle pudeur ! Vous êtes suisse ? »
-« Oui, et votre histoire ? »

CRAC. Je regarde mon soulier noir en cuir, dont le lacet qui est disposé fatigue par le temps, tourne plus l’extérieur que l’intérieur. En dessous de lui, un petit morceau de marinier sec. Je viens de marcher sur une brindille. En relevant la tête, je n’aperçois rien d’autre que de mornes visages autour d’une tombe ouverte et vide. Plus pour très longtemps. Les manutentionnaires aguerris descendent très délicatement la dernière demeure d’une pauvre petite dame de mon quartier que tout le monde adorait dans le Paris de Saint-Germain. Briguitte, actrice de formation, tortionnaire sur les planches pour les jeunes acteurs, mais d’une tendresse presque maternelle quand elle nous parlait de son Marcel. Mort d’une chute, un trépas bien ingrat. Dès que nous en parlions, de ses lèvres, un sourire parfumé de rose embaumait l’espace. J’aurais bien aimé le rencontrer.

Qu’est-ce qu’elle avait dû l’aimer !