Rouge souvenirs

Rouge, je n’aime pas le Rouge.
Rien dans ma garde robe n’est Rouge. Ce rouge couleur de sang et de souffrance.

Pour vous, moi, nous tous, c’est pourtant dans le rouge que tout a commencé.
Parfois dans ce même rouge, tout s’est terminé.
Je me souviens ce jour d’Avril 1986, alors que je t’imagine dans la vie, un gouffre, celui de l’enfer, s’ouvre sous mes pieds.
L’enfer avec ses flammes, celui dont on pense ne jamais pouvoir sortir. Que s’est il passé, que t’est – il arrivé ?
Le rouge de l’Est ne s’est pas arrêté à la frontière. Il est venu jusque dans mon ventre, jusque dans ton cerveau. Il a tout pris sur son passage. Quand l’armée rouge avance, elle détruit, elle rase, elle tue et ne laisse derrière elle que sang et souffrance.
Je sors, je ne vois que le soleil. Il sera là demain et les jours suivants. Rayon de nature, de réparation.
Il est minuit, le téléphone sonne, la nouvelle tombe. Une fois encore ce vacillement . Mon sang me quitte, pâleur extrême, tremblements, état de choc. Son sang l’a quitté, la vie l’a quitté. Pompiers et sirène, sang et souffrance.
L humanité toute entière y est quotidiennement confrontée. Nos chers médias s’en repaissent, nous en abreuvent, ici dans un pays, là au plus intime d’une famille. Nul n’arrivera au bout du chemin- petit chemin – sans ce passage obligé. L’éviter n’est pas possible. L’injustice est que certains sont plus touchés que d’autres.

Injustice, je n’aime pas l’injustice.

Tout ce qui est injustice fait naître en moi des émotions trop fortes, incontrôlables parfois. Des colères noires. Je vois rouge ou plutôt je ne vois plus, tant l’émotion m’envahit.
Je me souviens de cet après midi ensoleillé.
Fière de cette proposition transmise par L. Je me suis mise à rêver. Je vais travailler dur puisqu’on a repéré mon potentiel. Je vais réussir, briller. J’ai des ailes, je rêve.

Surtout être à l’heure pour ce rendez vous.
Personne . …
Je dois être en avance. J’attends. J’attends longtemps, longtemps, très longtemps, trop longtemps. Je sens peu à peu fondre mon rêve. Non ce n’est pas possible. J’ouvre les yeux peu à peu. Je finis par comprendre. Non ce n’est pas possible. Mais si, L. m’a piégée. Ce qui n’est qu’un mauvais tour pour L., se mue en une douleur extrême pour moi.
Pourquoi ? Le « pourquoi » est toujours premier face à l’injustice.
Se venger, une bouffée de colère monte en moi. Le temps la fera fondre. Je vois noir, je vois rouge. Accepter l’incompréhensible, l’inacceptable, l’injustice. Il faut digérer et continuer, se contrôler, se réparer, surtout ne pas exploser. Le vent me fouette le visage, nature réparatrice.

J’aime me savoir résiliente face à ces émotions puissantes capables de tout emporter sur leur passage.

Résilience, j’aime être résiliente.
La résilience couleur de vie et de douceur. La résilience c’est la réparation.
Je me souviens de cet après midi récolte.
Un après midi entier à ramasser des framboises. Un après midi entier à en manger à satiété sous le regard bienveillant de M..Le soleil est doux, je parcours les allées , picore encore et encore.

Rouge souvenirs

Ce goût unique emplit mon corps de douceur et de bien être.
Sentiment d’être acceptée, d’être au bon endroit. D’être aimée tout simplement.
Est-ce de là que me vient ce goût pour les fruits rouges ?
J’aime les framboises, les fraises, les mûres, les groseilles, les myrtilles, les cerises, la grenade. Est-ce leur goût ou leur couleur que j’aime ?
Leur goût, leur couleur ou ce souvenir d’enfance ? Cette émotion inscrite au plus profond de moi peut-être ?
Aujourd’hui c’est l’émotion associée que je réveille en me gavant dès que je peux des ces juteux délicieux goûteux fruits rouges.
Aujourd’hui, lorsque je pique sur son petit index une framboise à point. Son sourire, son rire, son étonnement et sa gourmandise satisfaite m’apportent tant de bonheur, tant de douceur.
Je transmets.
C’est bon, c’est doux, réconfortant.

Je n’aime pas le Rouge. J’aime le Vert.
Je me souviens…