Les Saisons

“Quelle fraîcheur !”
L’automne avait finalement acté sa venue sur Paris et ce vent frais, aérant le coucher du soleil, me faisait trembler. J’étais le plus vieux platane de ce parc, 105 années derrière moi.
“Il faut vite que je perdre mes dernières feuilles afin d’entrer en état de dormance pour le grand froid et ces braves perruches en soient témoins, cela arrive vite”.
Le parc Montsouris regorgeait de ces superbes ailés verts virevoltant au vent et chantant vigoureusement leur velléité de vie. Car ces étrangers en terres pigeonnières, probablement échappés de quelconque habitation humaine, apportaient à notre parc une vitalité ô combien merveilleuse. Le vert pomme de leurs plumes tranchait net avec le rouge vif de mes feuilles, pour moitié déjà tombées au sol.
Un tapis orange, sanguin et pourpre sur lequel allaient et venaient les humains à mes racines. Ces derniers finissaient toujours par ramasser ce tapis pour l’emmener ailleurs, créant en moi une grande frustration de me voir privé de mon futur humus.
Chaque année, je me languissais de cet instant. Un dernier regard sur le monde avant le long sommeil. Une dernière grande inspiration sous la brise, légèrement réchauffée par la grand centrale avant de se reposer.
J’étais toujours fasciné par le fait que le prochain réveil serait une demi-année plus tard, une saison dépensée. Voir tous mes amis et ma progéniture autour de moi me rendait heureux, encore plus de les savoir survivants d’une nouvelle longue chaleur estivale.
C’est ainsi que je dis bonne nuit et beaux rêves à ces saules et ces frênes et ces hêtres et ces pins sifflant au vent. Je saluai les pigeons et les pies que j’abritai, leur demandant de ne pas me chatouiller trop fort de leurs griffes pendant mon sommeil (vieillir m’avait rendu plus chatouilleux!).
Après une dernière inspiration, un dernier regard sur ce merveilleux soleil descendant, je vis mes dernières feuilles rouges se détacher de leur ancrage et lentement rejoindre cet immense tapis de la même couleur au sol. Je fermis alors mes sens et m’endormis.

“Quelle légèreté !”
Mes sens s’ouvrirent alors que je me reveillai. Au sol, de la verdure et des humains, tractés par des chiens. D’autres se courant les uns après les autres. Je dis bonjour aux pigeons et aux pies qui se tenaient droits et fiers sur mes branches. Je les remerciai de ne pas m’avoir trop chatouillé et fut heureux de voir la construction d’un nouveau nid de mésanges sur mes branches. Savoir que je pouvais offrir la vie était probablement le sentiment de bonheur le plus enivrant que je pouvais connaître.
En y regardant de plus près, au bout de mes branches, je sentis de nouvelles pousses, sortant vigoureusement de mon écorce. Et sur ces dernières, de petits boutons rouges. Mes bourgeons!
Le grand froid semblait être passé, même si chaque année me faisait désormais douter du moment de mon réveil. Car froid, l’hiver l’était moins chaque année et tardif, il l’était plus encore. Comme à chaque réveil, je fus également déçu de ne pas avoir pu voir ce tapis blanc recouvrant le monde, tel que me le décrivaient mes amis ailés.
Mais voir ces petites pousses rouges lentement se déployer sur mes branches me donnait un incroyable sentiment de vitalité, de mes racines jusqu’à la cime de mes plus hautes charpentières. Je ressentais la vie en moi, le mouvement dans mes veines, la circulation de mon essence. Cela remontait tout mon être de bas en haut à m’en faire frissonner les brindilles et me donnait la force de déployer mes ailes à moi. Celles qui me permettaient, non pas de voler mais de capter l’énergie la plus pure, celle de cette boule de feu qui enflammait le ciel. Elles me permettaient de me grandir et de fournir de belles conditions de vie sous mon manteau vert, que les humains comme les bêtes chérissaient tant.

“Quelle chaleur !”
Le parc où je me trouvais disposait d’un point d’eau, prisé par les humains et les ailés. Cette année, cette saison, il l’était encore plus.
“J’ai tant soif, j’ai tant chaud.”
Je vis mes feuilles devenir rouge progressivement, alors qu’il y avait au dehors un cagnard à faire fondre les glaces des passants assis sur les bancs. Je ne compris pas, mes feuilles rougeoyaient normalement lorsque la nuit était longue et les températures froides. C’était ici tout l’inverse! Le mercure était au plus haut et le soleil présent tant d’heures dans une journée.
Cette source de vie que je chérissais tant, à qui je devais mon énergie, ma vitalité, mon essence. Cette grande centrale qui m’avais maintenu en vie pendant mes 106 années de vie, était aujourd’hui en train de me faire souffrir à grand feu. J’en vins à maudire ce soleil cuisant qui ne se maîtrisait plus et j’enviai les humains capables de se protéger de ses rayons. J’était moi condamné à ne pas connaître l’ombre, la fraîcheur et la brise. En cet instant, je ne connaissais que la chaleur.
Et le manque d’eau.
Mes efforts étaient intenses pour aller chercher de l’eau encore plus profondément sous terre, mais mes racines malmenées ne faisaient que mourir sur des roches ou du béton. Je tentais tant bien que mal de trouver le chemin sous terre jusqu’à ce point d’eau qui depuis des lustres me faisait de l’œil mais j’étais trop loin.
Impuissant, souffrant, je ne pouvais que constater ce tapis de feuilles rouges se former au sol autour de mon tronc. 3 mois trop tôt.