« Il était une fois, aux abords d’une rivière luxuriante, les quatre saisons se retrouvant sur le sentier la longeant, afin de faire le bilan de l’année.
Leurs rencontres, de siècles en siècles, se ressemblaient et chacune estimait avoir fait la meilleure part de leur tâche commune. Et chacune s’estimait la plus agréable, sauf l’Hiver que tout le monde raillait : « la chaleur des temps n’équivaut pas celles des humains » se défendait-elle. Alors pour la première fois, les saisons cessèrent de parler de la Terre pour discuter des êtres qui la peuplaient. Une nouvelle fois, chacune se défendait d’être la meilleure.
Le Printemps commença :
« J’ai vu, dès mon réveil, une jeune femme sur une rive du fleuve, et sur l’autre rive un jeune homme. J’ai demandé aux oiseaux de chanter, et fait germer les bourgeons et l’espérance. J’ai apporté du sud un air tempéré et fait pousser les fleurs. Les parfums, la lumière et la mélodie les ont accompagné.
De toutes les saisons, j’ai effectué le meilleur des travaux. Car lorsque je me suis endormie, les deux inconnus étaient tombés amoureux ».
L’Été continua :
« Quand je me suis réveillé, j’ai vu ces deux inconnus sur les rives du fleuve. J’ai demandé au vent de ne plus souffler, et au soleil de réchauffer. J’ai parlementé avec les arbres pour étoffer leurs feuilles, avec les papillons pour leurs ballets, et avec cigales pour leurs comptines. Il y avait des fruits, et les fleurs que j’ai conçues étaient plus belles
encore que celle de Printemps : de leurs pétales elles coloraient les prés, et de leurs pistils les insectes se rassasiaient. J’avais créé un paradis, et les promeneurs se sont arrêtés pour discuter.
De toutes les saisons, j’ai effectué le meilleur des travaux. Car lorsque je me suis endormie, les deux inconnus ne l’étaient plus ».
L’Automne poursuivit :
« Je suis sorti de mon somme la bouche sèche, car Été avait brûlé la Terre d’une chaleur suffocante. J’ai pris peur que les deux amoureux ne se mettent à l’abri, sans ne plus jamais se revoir. Alors j’ai soufflé des mistrals et des bourrasques, tant et si bien que le chapeau de la jeune femme a volé jusqu’à l’autre rive, et le jeune homme l’a rattrapé. Puis j’ai réparé les erreurs de l’Été, j’ai lancé des averses et des ondées. Des torrents d’eau, parfois des ouragans.
Je n’ai pas pris garde aux feuilles des arbres qui tombaient, et la rivière n’a jamais été aussi haute, je le reconnais. Mais de toutes les saisons, j’ai effectué le meilleur des travaux. Car malgré mes colères, et jusqu’à ce que je sois endormie, les deux amoureux ne se sont pas oubliés ».
Alors Printemps, Été et Automne dévisagèrent l’Hiver qui n’avait encore rien dit. Et à nouveau elles se moquèrent de lui. « Et toi ? Dirent-elles, Qu’as-tu fait pour les deux amoureux. Tu n’as pas demandé aux bourgeons de germer, puisque Printemps le fait chaque année. Tu n’as pas demandé au soleil de briller, puisqu’Été s’en est occupé. Et tu n’as pas demandé aux vents de souffler, comme Automne s’y emploie d’usage. Qu’as-tu fait Hiver ? Ton paysage est triste, blanc et froid. Les animaux hibernent et le soleil reste timide à l’horizon ».
Alors, l’Hiver reprit :
« Vous avez raison. De mon réveil jusqu’à mon coucher, je n’ai pas beaucoup travaillé. J’ai prié la neige de tomber, et les fruits de ne pas pousser. Je ne suis pas comme toutes les saisons, mais je n’ai pas démérité ! J’ai contemplé la rivière, et j’ai eu une idée. J’ai eu besoin de vous pour tout ce que vous avez fait.
Mais il a fait si froid que la rivière a gelé, et les deux amoureux, chacun depuis sa rive, ont pu se retrouver ».
Depuis ce jour les saisons ne se sont plus moqué d’Hiver, car aucune n’est meilleure qu’une autre, et chacune a besoin des autres.
À la fin de chaque année désormais, lorsque deux inconnus traversent la rivière pour se rejoindre, les saisons se félicitaient de ce travail collectif et équilibré, en contemplant la joie des amoureux qui vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ».