Être quelqu’un d’autre

I

Si elle devait se représenter le désir, elle choisirait la couleur rouge. Elle aurait en tête l’appartement dans le film Eyes Wide Shut, et se ferait croire que la sensualité est rouge velours, collants noirs, épaules découvertes. Parmi la lumière épaisse, les cendriers en verre sur la moquette, et les draps en satin, elle aurait été cette fille à la fois libre et emprisonnée par le désir des hommes. Et chaque soir se refusant aux sentiments, elle n’aurait appartenu à personne.

II

Je voudrais bien me raconter les choses comme ça mais je ne peux pas. J’ai toujours associé l’érotisme à des images de champs sauvages l’été, ou à des paysages d’océan. La couleur rouge ça me rappelle seulement que je crois à l’amour, et pas à la douleur.
Ma vie a toujours été bleue. J’ai passé mon enfance au bord de la mer, j’ai attendu sur les plages la fin de l’adolescence, j’ai fait grandir ma jeunesse dans une ville de pluie. Je n’ai jamais su être quelqu’un d’autre. J’ai toujours été transparente, à cause de l’eau que j’ai trop regardé, et mélancolique à cause des nuages dans le ciel. J’ai beau m’inventer des aventures et des secrets, je ne peux rien dissimuler, mes pensées sont translucides.

III

Non tu n’as jamais été quelqu’un d’autre. Je n’ai jamais su te voir autrement. Sur le sable, loin des âges, tu as toujours été la fille songeuse au bord de l’eau, celle qui ne peut jamais cacher ses émotions, et dont on comprend les secrets même en fermant les yeux.
Ce n’est que comme ça que tu existes mon amour.