« Bienvenu à tous aux informations de 19H ! Aujourd’hui en bref, à Bogota une attaque cyber- terroriste au sein du département local de la Défense Mondiale a causé une panne informatique heureusement rapidement résolue. Bien que chacun est libre de disposer de soi, la gouvernance condamne fermement de tels actes et annonce la venue prochaine de sanctions financières importantes contre les terroristes. C’est la troisième attaque terroriste depuis le début de l’année sur le territoire américain. Les suspects sont fichés comme étant des antilibéraux forcenés.
A Paris, la présentation du salon de l’automobile fait une nouvelle fois sensation ! Le dernier modèle présenté par Amazon Cars, leader du marché mondial, est au top de l’innovation. Outre les fonctionnalités habituelles, le partenariat avec InSpace porte ses fruits et l’automobile devrait être capable avec des accessoires complémentaires, de permettre des voyages à travers l’espace jusqu’aux stations spatiales internationales.
Maintenant notre reportage local nous amène dans le sud à Rodez où Enzo, 48 ans, a fait fortune grâce à des placements intelligents qu’il nous explique aujourd’hui, rappelant que la fortune est accessible même aux plus démunis. »
Derrière eux, dans le bar, la télévision tourne en boucle sur les informations nationales et internationales, une rengaine messianique. Un homme rentre, cheveux poivre et sel, rasé de près à la mode actuelle, il revient dans un lieu qu’il connaît bien mais dans lequel il n’a pas forcément le temps de venir en ce moment.
– « Un café s’il te plaît. »
– « Ah Nathan, ça fait longtemps que je t’ai pas vu dans l’coin ! ça f’ra 8 cash. »
– « 8 ? Putain ça n’arrête pas d’augmenter ce genre de conneries, j’peux pas en dire autant de mon salaire… »
– « Ouais bah je n’y peux pas grand-chose tu sais. Il faut bien suivre le courant. Si je le fais à moins, je n’ai pas de quoi nourrir la famille au complet. »
– « J’sais bien, mais ça fait chier quand-même ! J’en viendrai presque à comprendre les terroristes. »
– « Chut, on ne veut pas entendre ça ici. »
– « Je sais, je sais, la France a déjà eu assez de soucis à cause d’eux. Lina devrait arriver bientôt, quand elle aura finit de rentrer les nouveaux articles dans l’inventaire générale de l’entrepôt. Sinon comment ça va toi et Chloé ? »
– « Bah tu sais, la routine. Toi à l’usine de conditionnement et moi au bar, on bosse pour la même chaîne, tu connais nos conditions de vie quand on est en bas. Mais bon, je ne me plains pas, j’ai un toit et la sécurité. Le bar tourne H24 et ce n’est pas moi qui bosse la nuit. C’est tout ce que je demande avec un avenir pour nos gamins, rien de plus. »
– « D’ailleurs en parlant de ça, Marie est entrain de finir son cursus de 10 ans à la Centrale d’Albuquerque. Elle aura bientôt un emploi à l’Amazon Cash Bank (ACB). Au moins, je n’aurai pas de soucis à me faire la concernant, elle rentrera dans le rouage et aura de quoi vivre plus facilement que nous. Et tes parents Julien et Laura ? ça va bien ? Ton père a pu s’habituer à sa nouvelle mécanique ? »
– « Il faut bien avouer qu’avec les implants, ça réduit quand-même les problèmes. Mon père a pu remarcher sans soucis depuis son accident. Une jambe cassée en tombant d’une échelle mécanique, c’est quand-même con. Heureusement, la mutuelle privée payée par son entreprise a prit en charge l’opération avec le docteur Pascal. Sinon ma mère ça va, tu sais ce que c’est, le boulot. Mais bon, elle va bientôt prendre sa retraite, elle pense qu’elle a assez économisée pour vivre encore un moment sans avoir de soucis et devoir compter sur moi et Léa, ma sœur. »
– « Ah c’est bien ça. »
Conversation tranquille, banale en somme, de personnes tranquilles, banales en somme. L’odeur du café s’élève et retombe dans l’air au fur et à mesure que les gens en boivent. Selon l’heure, l’ambiance est différente, le matin ça sent le café et les croissants, le midi, c’est plus calme de ce côté, moins du côté restauration, le soir ça sent plus l’alcool, denrée chère au cœur et au porte- monnaie des anonymes peuplant ce lieu paisible.
– « Putain j’vais encore devoir la réparer ! ça m’emmerde, y’a toujours un truc qui déconne sur cette bécane ! »
– « Ouais ben fallait que t’arrêtes d’utiliser les pièces que te file le vieux Noah ! Tu sais bien que la moitié de ce qu’il récupère est bon pour la casse ! »
– « Non mais j’ai dû merder quelque part ! J’allais bien plus vite sans dépasser les quotas ! »
– « Ah ça oui, pour merder, tu as merdé ! »
– « Bon, c’est pas grave, de toute façon, on est bientôt arrivé non ?! »
– « Ouais, traînes ta mob jusqu’à la boîte Emi, tu trouveras de quoi réparer sur place, ça ira, à toute ! »
Sous une pluie fine, Émile se retrouve seul avec sa vertueuse pétaradante qu’il va ramener à la boîte où de toute façon, il sait que Noah sera la-bas, comme toujours. Son pote Marcel est reparti, il le retrouvera après, ce n’est pas la première fois que cela arrive, il ne s’inquiète pas plus que cela.
Une dizaine de minutes plus tard, il finit par arriver. Marcel a prévenu Noah qui l’attend devant. Il est facilement reconnaissable avec son vieux blouson en cuir, sa barbe mal rasée, sa clope au bec, son style un peu aléatoire et son amour de vieilles bécanes. Il roule sur une Honda CB 750 Four, modèle mythique de 1969. Il en a d’ailleurs 2, une de collection avec son freinage à disque hydraulique et une finition au poil et l’autre qu’il utilise plus pour la frime avec un équipement plus ou moins récent mais plus sécurisé et moins vétuste. Bref, un connaisseur.
– « Ah v’là le champion ! Alors gamin, on ne sait toujours pas manier son engin ! »
– « Y’a encore un truc qui merde dans tes modifs Nono ! J’veux avoir un truc qui avance, pas un truc qui ne bouge pas ! »
– « Bah je t’ai déjà dis de changer ! T’as qu’à prendre une GL 2800 ! »
– « Tu crois qu’on a les moyens de prendre ça nous ? »
– « Bah ouais, suffit de se les donner ! »
– « T’es bien sympa toi, moi j’ai pas ta débrouille. »
– « Ouais ben ça, je l’avais remarqué, bon rentre et laisse moi ta machine, je te la remet en état et tu pourras la récupérer demain. »
– « Ok, ça marche. »
Émile ne peut rien dire d’autre, après tout il est bien redevable à Noah de lui arranger des coups à des prix modiques. Faut dire que le bonhomme a été malin dans sa jeunesse et a fait de bons placements, c’est l’un des rares dans le coin qui peut faire ce qui lui plaît vraiment. Sa force de caractère fait qu’il ne craint pas grand monde, il a d’ailleurs envoyé chier pas mal de monde dans le passé, il n’aime pas les faux-culs et les lèches-bottes. ça tombe bien, Émile n’est ni l’un, ni l’autre, il a de la gouaille mais il sait respecter l’aîné. Dans la boîte, il retrouve Marcel après s’être donné un coup de séchoir. La musique tape et s’inscrit entre les parois du lieu, modulable pour chacun au besoin grâce aux appareils auditifs à disposition. Les derniers sons résonnent dans le lieu, des sons qu’un vrai musicien ne pourrait pas apprécier. L’oreille avertie reconnaîtrait sans problème dans ses sons, des reprises rythmiques des années 2000 qui étaient déjà des reprises des années 60-80 avec des basses supplémentaires. Bref, un truc qui se résume à un sweep, une piste de kick compressée avec un snap et quatre accords dont un mineur style La mineur, fa, do, sol, rassemblés ensemble avec une caisse claire et une voix féminine pitchée en anglais. ça marche depuis des années alors pourquoi s’en priver ?
– « D’ailleurs Marie, elle revient quand dans le coin ? »
– « J’sais pas, faut demander aux parents, tu sais, c’est l’enfant prodige, elle n’est pas à l’usine. »
– « Ouais fin te plains pas, toi t’as pu rentrer au conditionnement avec tes parents justement. »
– « C’est chiant d’être comparé à elle tous les jours. » Le bruit ambiant des machines forme un assommoir assourdissant où la bête humaine s’attache à faire chaque jour de sa vie les mêmes gestes sur Terre. Tout cela pour espérer gagner de l’argent afin de permettre de connaître, par à-coup, des morceaux de rêve et éviter les débâcles. Lina termine le travail dans l’entrepôt de conditionnement. Une routine qui n’est pas des pires, mais qui n’est pas la meilleure non plus.
– « Hey Manon, il reste encore combien de caisses à rentrer ? »
– « Une trentaine je crois ! »
– « Ok, c’est bien, cette semaine on a eu pas mal de boulot ! »
Sa plus grande hantise, c’était de ne pas pouvoir travailler. Embauchée mais payée à la pièce, comme toutes ses collègues, chaque semaine avec moins de travail apportait moins de sous sur la paye à la fin du mois. Fort heureusement, les acquis sociaux français étaient les meilleurs dans le monde, l’état offrant toujours un accès aux soins plus simples que dans les autres pays grâce aux reliquats de la sécurité sociale. Mais le fait de se retrouver sans emploi est une catastrophe sans précédent pour celui à qui cela arrive. Sans argent, il est littéralement impossible de survivre dans ce monde. Mais celui qui travaille possédera toujours une vie suffisamment confortable, ayant un logement, du chauffage l’hiver et de la nourriture toute l’année… Et plus rien, en une seconde tout est fini. L’entrepôt de nitrate d’ammonium située à quelques kilomètres de là a explosée. Avec lui, toute la ville est partie en fumée. Depuis des années, les usines et entrepôts sont devenus toujours plus grands et les risques plus importants tandis que la sécurité, comme toujours, reste négligée. « Welcome to the noon news. Today in short, in Bogotá a cyber-terrorist attack in the local Department of Global Defense caused a computer failure that was fortunately quickly resolved. Although everyone is free to dispose of themselves, the government strongly condemns such acts and announces the upcoming arrival of significant financial sanctions against terrorists. This is the third terrorist attack since the beginning of the year on American territory. The suspects are listed as being made-up anti-liberals. In Paris, the presentation of the Motor Show is once again a sensation! The latest model presented by Amazon Cars, world market leader, is at the top of innovation. In addition to the usual functionalities, the partnership with InSpace is paying off and the car should be able, with additional accessories, to enable space travel to international space stations. In France, the explosion of an ammonium nitrate plant caused the total disappearance of an entire city. This is a hard blow for the petrochemical group, which has seen its share price fall by 7% on the New York stock exchange. The president of the group is expected to comment on this fall in the coming hours. He hopes to be able to reassure his shareholders that this explosion has nothing dramatic for the company and that the losses will not amount to more than a few million. The number of victims is unknown for the moment. » Une communication part d’Albuquerque, une fois, deux fois, trois fois, personne ne répond.