J’ai encore perdu une chaussette. Une soirée somme toute ordinaire, sans encombre, mais qui s’acharne à compenser son manque de fantaisie par une amertume abrupte et dense. Me hâtant d’abaisser ma conscience à sa raison, s’invite ainsi cette douce pensée : bienheureux suis-je de ne ne m’être dessaisi de cette consonne acide, sans quoi mes phrases se seraient sans doute astreintes à une causerie suffocante, sans âme, sans rire, sans assiduité. C’est cependant d’une satyrique ironie qu’une impression d’en omettre une autre m’assiste. Me ressaisissant, mon étourderie admise à surdité, je m’efforce de suspecter quiconque s’insurgerait de suivre chaque jour nombreuses déboires de mes bas de coton. C’était un coton de synthèse, assez disgracieux j’en conviens, mais qui sait s’insinuer dans une routine.
Son absence emportait mes peurs, corsetait mon angoisse dans une terreur avertie. Sur mes gardes, mes sens et instincts engendraient des soupçons, qui se portaient sur mon entourage. Croyais-je être trop naïf de ne pas voir ces passions viciées d’une fratrie ? Un monde honnête, d’une saine probité, n’a d’existence qu’autour des murs de nos consciences.
Qui de mes connaissances sait s’armer de suffisamment de vergogne pour attirer à moi ces foudres d’une destinée revancharde ? Je n’ai pas de caste, pas de tribu ni de meute, je suis ermite en forteresse de mes doutes. Mondanités m’assiègent, c’est une raison oppressante de ma fuite, de mondain vers un hors monde désinhibé, sans frontières du concret.
C’est ici que j’aperçus mon âme, sa consomption définitive. Ce n’est pas que je n’ai pas vécu, mais j’omis de vivre. Je n’ai pas perdu qu’une chaussette ce jour, j’ai aussi perdu toute saveur d’exister.