Récit de voyage sur la chanson «Mon enfance» de Barbara

Mon enfance. Mon enfance dans cette grande maison au portail bleu, et à la petite porte, bleue aussi, entourée de fleurs, et que l’on n’ouvre jamais. C’est la maison de vacances où l’on se rend l’été, la maison qui demeure figée dans l’été tandis que nous grandissons avec les saisons. Maison immuable dans le temps, que seules altèrent quelques poussières et quelques fleurs envahissantes, comme le lierre ensoleillé qui inonde le mur.

Des saisons après, en automne, je suis revenue dans cette maison au loin perdue, où j’avais passé les étés de mon enfance. J’ai eu tort, peut-être, d’ouvrir le portail, de fouler les herbes hautes, les feuilles mortes, les souvenirs. J’ai retrouvé comme avant, les arbres et les ombres, et les fleurs fanées qui agrippaient ma peau. Je me suis assise sur les marches de l’escalier qui mène au parc et j’ai fermé les yeux, pour ne pas voir le passé qui surgissait du rosier tombant, des pierres grimaçantes, des volets abîmés. J’ai fermé les yeux et les larmes ont coulé, le long de mes joues, le long du temps passé, le long des marches de l’escalier de pierre où nous jouions enfants.

J’ai effleuré le vent qui s’engouffrait dans la maison, et dissipait dans l’air humide nos rires d’autrefois, nos sonates improvisées sur le piano désaccordé, notre innocence. J’ai voulu voir la maison fleurie sous les hortensias, les chambres aux grands lits blancs, les papiers peints couleur printemps, le grenier avec les bateaux en bois et les portraits d’oncles et de tantes inconnus, accrochés aux murs.

Oh mes étés, oh mes soleils, oh mon enfance passée ! Les figues de juillet, l’odeur de l’écorce, le portail bleu.

En automne, je suis revenue aux temps cachés des souvenirs déchirants de l’enfance. Oh Maman, où es-tu dans cette grande maison que tu n’as jamais vraiment aimé, où es-tu dans ces fleurs séchées, ces herbes humides, ces feuilles mortes ? Où es-tu dans ce soleil absent et ces vastes pièces vides ?

Il me semble parfois t’entendre murmurer l’été, dans cette maison où mon passé me crucifie, et dort à jamais mon enfance.

La chanson de Barbara :

J’ai eu tort, je suis revenue dans cette ville au loin perdue Où j’avais passé mon enfance
J’ai eu tort, j’ai voulu revoir le coteau où glissait le soir Bleu et gris, ombres de silence

Et j’ai retrouvé comme avant Longtemps après
Le coteau, l’arbre se dressant Comme au passé

J’ai marché les tempes brûlantes Croyant étouffer sous mes pas
Les voies du passé qui nous hantent Et reviennent sonner le glas

Et je me suis couchée sous l’arbre Et c’était les mêmes odeurs
Et j’ai laissé couler mes pleurs Mes pleurs

J’ai mis mon dos nu à l’écorce, l’arbre m’a redonné des forces Tout comme au temps de mon enfance
Et longtemps j’ai fermé les yeux, je crois que j’ai prié un peu Je retrouvais mon innocence

Avant que le soir ne se pose
J’ai voulu voir
La maison fleurie sous les roses J’ai voulu voir
Le jardin où nos cris d’enfants Jaillissaient comme source claire Jean-claude et Régine et puis Jean Tout redevenait comme hier
Le parfum lourd des sauges rouges Les dahlias fauves dans l’allée
Le puits, tout, j’ai tout retrouvé Hélas

La guerre nous avait jeté là, d’autres furent moins heureux je crois Au temps joli de leur enfance
La guerre nous avait jeté là, nous vivions comme hors-la-loi
Et j’aimais cela quand j’y pense

Oh mes printemps, oh mes soleils, oh mes folles années perdues Oh mes quinze ans, oh mes merveilles
Que j’ai mal d’être revenue
Oh les noix fraîches de septembre

Et l’odeur des mûres écrasées C’est fou, tout, j’ai tout retrouvé Hélas

Il ne faut jamais revenir aux temps cachés des souvenirs
Du temps béni de son enfance
Car parmi tous les souvenirs, ceux de l’enfance sont les pires Ceux de l’enfance nous déchirent
Oh ma très chérie, oh ma mère, où êtes-vous donc aujourd’hui? Vous dormez au chaud de la terre
Et moi je suis venue ici
Pour y retrouver votre rire
Vos colères et votre jeunesse
Et je reste seule avec ma détresse
Hélas

Pourquoi suis-je donc revenue et seule au détour de ces rues J’ai froid, j’ai peur, le soir se penche
Pourquoi suis-je venue ici, où mon passé me crucifie
Et dort à jamais mon enfance ?