Sasannach

Soir du lundi 20 février 1747, Inverness, Une cité remplie de honte.
Lachlan Mackintosh, cousin du chef des Mackintosh, Angus, marchait dans les rues calmes
d’Inverness. Cela faisait un an aujourd’hui depuis ce jour glorieux où il était entré dans ce domaine
qui appartenait à ses ancêtres avec les jacobites. Et beaucoup moins de temps qu’il fût forcé de le
quitter, poussé par les hanovriens. Beaucoup étaient ceux qui avaient préféré la prospérité et l’argent
des anglais hanovriens à la liberté des écossais des Highlands. Le temps était funeste comme son
humeur. Aujourd’hui, il allait devoir s’humilier dans les festivités organisées par les anglais et leurs
soutiens. Sans un bruit, il se préparait à se rendre au château d’Inverness.
Soir du lundi 20 février 1747, château d’Inverness, Fidèles sont les blessures d’un ami, mais les
baisers d’un ennemi sont trompeurs.
Tout le monde était réuni autour du duc de Cumberland. Campbell qui tenait l’Argyll,
sûrement le plus important, Sutherland, Munro, Grant et Ross. Chacun des chefs des clans écossais
alliés à l’hanovrien était aux petits soins avec son fils, le fameux boucher de Cumberland,
personnage détestable et détesté par beaucoup de monde. Mais les manières des hommes couvrent
leurs sentiments et leurs intentions. La vue de cette scène donnait à Lachlan un relent de dégoût. De
son côté, il se tenait avec les fils de nombreux chefs, emprisonnés ou déjà exécutés par les
hanovriens comme les Farquharson, Mackenzie, Chisholm et surtout et les MacDonald.
Mais d’un coup, le silence s’installa dans la pièce. Le capitaine Randall venait d’arriver dans
son costume fringuant des dragons britanniques. Sa présence était un affront fait à de nombreux
clans. Lachlan avait juré de rétablir l’honneur de sa sœur et cela ne pouvait passer que par la mort de
cet être dès qu’il l’aurait retrouvé. Et ce jour semblait enfin arrivé.
Vendredi 13 mai 1746, Demeure de Moy, Une femme va mourir pour sauver son honneur.
Des coups de mousquets et des cris au loin annonçaient une terrible nouvelle à Anna, ils
venaient pour elle, elle le savait pertinemment. Depuis la débâcle de Culloden, elle attendait ce
moment. Les hanovriens arrivaient, semant la destruction et l’horreur sur leur passage tandis que le
prince Teàrlach Stiùbhart s’enfuyait vers An t-Eilean Sgitheanach. Angus étant au service des
anglais et ne pouvant revenir sur son serment, ainsi elle se devait de diriger le clan pendant la
rébellion. Après la mort de nombre d’entre eux, voilà la désolation qui s’installait dans le reste de
son clan, la répression a cela de facile qu’elle ne rencontre pas de résistance. Le capitaine Randall
était particulièrement appliqué dans ce domaine et c’était toujours vers lui que se dirigeait
Cumberland quand il fallait agir et marquer les esprits. Pour cela, il débordait toujours
d’imagination. Sa cible en ce jour n’était pas Anna Fhearchair Mac-an-Toisch mais plutôt Laoghaire
Mac-an-Toisch, fille de William Mac-an-Toisch, le défunt frère d’Angus, que Randall s’était chargé,
non sans sadisme par d’ailleurs, d’exécuter durant la bataille de Culloden.
Tandis qu’il avait ordonné à ses hommes d’emmener Anna jusqu’à Édimbourg, il allait pouvoir
parachever son œuvre avec la fille tandis que son frère était toujours en fuite. La jeune femme était
bien là, il avança, l’épée à la main, saigna les deux hommes qui gardaient la chambre et entra. Elle
était résignée, regardant le sol calmement. La guerre donnait aux vainqueurs tous les droits, même
celui de voler l’honneur des innocentes. Le temps passa pour elle comme une éternité, une fois qu’il
eut terminé, il s’en alla, la laissant seule.

  • « Mieux vaut rester silencieuse que de chanter une chanson triste. Mieux vaut d’être
    morte… Seul le dernier soupir sera douloureux… »
    La jeune femme savait ce qu’il lui restait à faire et elle n’hésita pas une seule seconde. Sans un
    mot, quittant la demeure abandonnée de tous après le pillage, elle se dirigea vers Loch Moigh au
    pied de la demeure afin de laver son honneur et celui de sa famille.

Soir du lundi 20 février 1747, château d’Inverness, Donnez l’hospitalité à l’exilé et brisez les os
de l’oppresseur.

  • « Que de beaux atours monsieur Randall, de quoi rappeler vos actes à la face de l’Écosse ! »
    Le sang de Lachlan ne fit qu’un tour et le fougueux jeune homme agit sans réfléchir aux
    conséquences de son acte. Il était à présent trop tard pour revenir en arrière. Randall devait répondre
    à son tour à cet affront. Le duc d’Atholl s’approcha de Lachlan et lui intima secrètement de s’excuser
    et de se taire. Le chef des Grant ne manqua pas cette occasion. Lui qui avait tenu Inverness pour les
    hanovriens pendant la rébellion se voyait bien entrer en possession des terres des Mackintosh avec
    le soutien des britanniques. Dans tous les cas, il n’avait rien à perdre dans cet affront. Il s’approcha
    du duc de Cumberland et lui murmura que lui aussi avait tout à gagner dans cette querelle, si
    Lachlan mourrait, les Mackintosh seraient affaiblis et ne représenteraient plus aucun danger et les
    Highlands seraient ainsi pacifiées pour de bon.
  • « La guerre Monsieur, permet tout et je n’allais pas m’en priver ! Il faut savoir profiter des
    plaisirs qu’offre le monde. La raison de la justice est de l’apanage des vainqueurs ! »
    Lachlan allait s’élancer contre Randall, mais ce dernier portait les armes et n’aurait eu aucun
    mal à se débarrasser de lui. Cependant, son salut arriva de là où il ne l’aurait pas attendu.
    Cumberland, d’un ton narquois coupa court les deux hommes.
  • « Messieurs ! Si un duel est prévu ce soir aux divertissements, merci de m’en faire part à
    présent afin que nous puissions décider de la cote et des paris ! »
    L’occasion était trop bonne et peut-être unique, Lachlan n’hésita pas une seule seconde, il
    s’avança d’un pas et se déclara solennellement, suivi de Randall qui n’avait pas d’autre choix.
  • « Bien, dans ce cas nous disons une côte à quatre, Randall étant capitaine des dragons, il
    serait mauvais de dépouiller encore plus l’Écosse, après tout, vous êtes également les sujets du roi
    George ! Randall, en tant qu’offensé choisira les armes. Bon, il nous reste à désigner les témoins.
    Voyons… Sutherland, Munro, Grant et Ross avec Randall et Farquharson, MacKenzie, Chisholm et
    Donald avec le jeune Mackintosh. Comme à Culloden ! »
    Cumberland se mit à rire et poursuivit tandis que chacun prenait ses paris, reflétant bien la
    division qui régnait toujours derrière les faux-semblants, hanovriens ou jacobites. Le pari qui retînt
    le plus l’attention fût celui des ducs d’Atholl et d’Argyll qui parièrent cent guinées. Randall prit une
    épée de cour, preuve qu’il voulait porter l’estocade et une dague, de toute manière, prendre un
    pistolet n’aurait pas parût convenant pour un duel de cette importance. Lachlan en réponse prit une
    épée courte écossaise et une dague écossaise qu’il plaça dans sa chaussette. S’il n’avait plus le droit
    d’en porter tous les jours, cela était différent pour les duels.
    Soir du lundi 20 février 1747, château d’Inverness, Tout sauf la bonne chose.
    Lachlan en tant qu’enfant des Highlands avait été formé aux armes, mais ce n’était rien face à
    un capitaine des dragons qui avait déjà livré de nombreuses batailles. Il mit sa jambe d’épée en
    avant, en garde extérieure tandis que Randall s’avançait vers lui, l’air confiant, tournant autour.
  • « Bien gamin, je vois que tu sais te servir d’une épée un minimum, cela m’aurait peiné de te
    tuer sans faire de spectacle ! Mais n’oublie pas que malgré tout, la raison du plus fort est toujours la
    meilleure, souviens-t-en quand tu rejoindras ta sœur et notre bâtard en Enfer ! Votre honneur et
    votre parole d’écossais ne signifient rien ! »
    Randall attaqua rapidement Lachlan d’estoc cependant ce dernier parvint à contrer par une
    garde intérieure. Randall avait cherché à le décontenancer, mais sa motivation et sa haine étaient
    trop fortes pour qu’il se fasse avoir aussi facilement.
  • « Tu vas mourir anglais ! Je t’en fais le serment et ma parole a prouvé cent fois sa valeur face
    à tes actes ! »
  • « Tout homme meurt un jour, mais seul toi connaîtra ce malheur aujourd’hui l’écossais et
    cette parole sera la dernière que l’on t’adressera en ce monde ! »
    Lachlan, pied droit en avant attaqua d’une coupe diagonale que son adversaire para avant de
    planter son estoc dans son épaule droite découverte. La douleur transperça son épaule en même
    temps que l’épée aussitôt retirée par Randall, qui salua Cumberland et Argyll tandis que Lachlan
    reprenait. Ce dernier, porté par son désir de vengeance, attaqua à son tour. Car si l’épée de cour était
    létale, elle était surtout très mal équilibrée et Lachlan voulait en profiter. Il porta une coupe
    diagonale vers le haut qui frappa le genou droit de Randall et l’amocha sérieusement qu’il poursuivit
    par une attaque verticale avant de reculer. Randall n’évita la deuxième que par réflexe avec sa dague
    dans la main gauche. Sous le choc, Lachlan lâcha son épée en même temps que Randall sa dague. Il
    se trouvait ainsi désarmé face à Randall. Le sang coulait de la jambe de Randall et de son épaule.
  • « Tu vas payer pour ça gamin ! Avec ton trépas, j’aurai parachevé mon œuvre. Il n’y aura
    plus de troubles dans cette terre maudite s’il n’y a plus personne pour en causer ! »
    Dans un accès de rage, ce dernier s’élança vers Lachlan pour le frapper, mais son genou le
    faisait souffrir et porté par son élan, il trébucha sur Lachlan qui tomba également. Les deux hommes
    continuaient de se battre au sol, l’épaule de Lachlan le désavantageait et Randall arriva finalement à
    l’étrangler à mains nues, espérant voir disparaître toute vie du corps de son adversaire. Lachlan
    saisit alors son sgian dubh resté dans sa chaussette et que Randall semblait avoir oublié. D’un geste
    preste, soutenant le regard de son ennemi, il l’enfonça dans ses côtes, ce qui fît tressaillir ce dernier.
    Ne perdant pas son sang-froid, Lachlan enfonça son arme dans le cœur de Randall. Les dernières
    paroles entendues par Randall dans ce pays qu’il abhorrait allaient être du gaélique.
  • « Un homme ne meurt pas sans qu’un autre y gagne quelque chose. »
    Soir du lundi 20 février 1747, château d’Inverness, Laissez les morts mentir.
    C’était fini à présent. Lachlan s’écroula sur le côté tandis que les témoins validaient le duel en
    silence. Pour une nouvelle fois, un an après, à Inbhir Nis, l’écossais avait battu l’anglais.
    Cumberland ne dit mot, il était impuissant devant les faits et évènements qui se déroulaient devant
    ses yeux comme les jacobites l’étaient durant sa répression. Verre à la main, il le leva afin de saluer
    le vainqueur tandis qu’on retirait la dépouille sanguinolente de Randall d’où elle gisait. Seul le duc
    d’Atholl coupa le silence au bout d’un instant en se penchant vers le duc d’Argyll, sourire en coin :
  • « L’intendant de Votre Grâce sera visité par notre intendant concernant le règlement de vos
    cent guinées à mon égard. Vous voyez, même dans ce bas-monde la justice peut encore triompher
    de l’oppression. »
    Les festivités pouvaient reprendre et tout était rentré dans l’ordre. Lachlan, épuisé et blessé, se
    retira rapidement, félicité discrétement par les anciens jacobites, ignoré par les hanovriens.
    Soir du mardi 21 février 1747, port d’Inverness, C’était sa destinée.
    Sorti vainqueur de son duel, le duc de Cumberland, bien malgré lui, fut obligé de laisser la
    liberté à Lachlan qui avait réussi à tuer un de ses meilleurs officiers. Celui qui était promis à une
    grande carrière militaire et politique en Angleterre allait reposer prématurément dans ce sol qu’il
    avait tant détesté tandis que celui qui l’aimait tant continuerait à le fouler pour de nombreuses
    années. Tout le monde ne parlait plus que de lui tandis qu’il se promenait sur le port d’Inbhir Nis.
    Il se tenait là, droit et fier, l’immensité de la ville s’étendant à ses pieds. Le soleil couchant
    diffusait sur sa peau et en son âme une chaleur qui lui avait tant fait défaut. Sa rédemption enfin
    parachevée par l’accomplissement de sa vengeance, il pouvait regarder par-delà les collines et
    mesurer le chemin parcouru jusqu’à ce jour. Il était libre.