Deux cafés sur le bord du comptoir…

Souvent je vais dans un petit troquet, à l’allure chaude et aux boiseries détaillées où l’on passe sans s’arrêter, lorsque l’on dévale la Nationale sur les chemins escarpés de l’école buissonnière. Pourtant au milieu des routiers qui trimballent leurs baluchons de port en port et écopent l’aumônière de débours en mitraille, les chalands et les plus curieux qui poussent la porte et la repoussent à tout bout de champs, j’y trouvais une familiarité réconfortante. Je me rappelle comme on décrypte une photographie ancienne la première fois que le café avait accueilli la cavalcade de mes errances à travers le continent. 

C’était l’été. La glycine qui grimpait sur la façade de l’entrée jouissait d’une douce lueur et d’une légère sécheresse au bout des pétales en accueillant les trouillards et les badauds d’une accolade enveloppée dans une sachet de tulle comme on butine dans les boutiques le parfum d’une sentence agreste. À l’intérieur, c’était l’odeur du café brulant qui emplissait mes narines ; comme je n’avais guère dormi la veille, qu’il me fallait encore conduire quelques heures, et que la baraque semblait insinuer à grands cris de fragrance « Assied-toi donc, malotru ! », j’en pris deux, dont je ne sus alors qu’ils incendieraient mon palais mais que j’imaginai suffisamment torréfiés pour qu’ils m’enivrassent, alors que les pages de mon journal se déployèrent sur le comptoir comme on dresse une nappe sur la planche à repasser, ou comme on étend le linge sec sur la table. J’étais donc troublé, et je plongea mon trouble dans les nouvelles troublantes pour être troublé davantage encore. 

La serveuse entra en scène, la cafetière fumante dans les mains, du moins j’imagine, le vent décollant les pages de la feuille de chou comme on tire le rideau sur la pièce qui débute, acheminant toujours mes pensées dans un monde où l’on n’est pas, mais qui nous enlève de là où l’on n’est plus. Elle me servit mon double café dans une tasse – pourquoi pas deux d’ailleurs, puisque c’était ce que j’escomptai obtenir initialement au moment de la commande – et par amabilité je lui souris, comme on sert l’indifférence sur un plateau d’argent. Il y avait chez elle ce je ne sais quoi d’intime comme on croise des inconnus que l’on connaît depuis toujours mais que l’on a cesser d’admettre, à sa façon de tapoter des ongles sur le plateau du bar, et lorsqu’une musique un peu ringarde résonnait dans le grammophone, et que tout bon client qui vient de commander deux cafés dans un gobelet serait en droit de se dire « quelle faute de goût cette rengaine. Quelle dégaine, quel bagou ! », la serveuse posa son souffle sur les arpèges de sa mémoire en soupirant. C’est alors qu’en la voyant, les yeux perdus dans le vide à la capture de mon ombre, je me mis à dicter l’histoire de ses pensées.

Elle s’appelait Clémence. Longtemps elle s’était évertuée à donner à la vie des gages de paillettes sur l’asphalte que les robes à facettes s’évertuaient à complimenter, à ne patauger dans la gadoue que pour son bon plaisir, lorsque la pluie et les lendemains d’orage léchait la surface de la colline, comme pour se décharger de cette pureté et de la perfection de ses moeurs. Elle rêvait de tapis rouge, de collier de perles et d’un petit capucin, car l’originalité reste la plus simple des raisons de se démarquer et d’y réussir. Elle exhalait de ces regains d’entrain aux saveurs d’Orient que l’on découvre en ouvrant des boîtes à thé, et répandre son allégresse sur les aigreurs de l’existence telle une libation sur des quartiers de citrons. Un sourire plus expressif, une prosodie affirmée, ces quelques vertus pondérées qui impriment les vertiges prépondérant que les ouvreurs savent humer, et à trop les repérer s’en vont prêcher les arrivistes et  ouvrir leur main à l’obole d’une délation ; car les têtes d’affiches sont au départ les baladins que l’on dénonce pour leur trop grand sens du théâtre.

Elle s’était accoutumée à la candeur des odéons du côté de la Villette, puis à la complaisance des planches de l’opéra jusqu’à la grandiloquence de la Comédie Française, de Broadway, de Sydney ; la planche était son pain, comme un chemin que l’on retrouve quand on le saisit enfin. Et ces soirées de clameurs n’eurent de cesse de gonfler dans sa poitrine, lorsque sa voix déclame les tirades, rebondissant de la fosse au poulailler, et par delà des cancans et les manigances, un amour délicat pour le spectacle, et figèrent dans les acclamations le goût de la fierté sur une nappe de satin. Une cantatrice des vers bourgeonnaient dans les gros titres qui fleurait la courtisanerie, et déposait sur sa tête une couronne de louange, une hermine de gratitude sur ses épaules. Les tournées devenaient son quotidien, et dût passer sa vie à vivre en passant. Dans l’ubiquité de sa renommée on entonnait au cortège de son nom qui résonnait au quatre coin du monde une mélodie à la mode que l’on décrira quelques années plus tard comme une ringardise qu’on ne savait plus écouter qu’à l’aigreur de l’habitude, mais que l’ivraie de la nostalgie germera comme le souvenir latent d’une gloire devenue insaisissable, et qui dans le miroir du surréel s’était évanouie. 

Pourtant ces humeurs vilipendaient les nuits d’un badigeon de nard, de musc et d’opium. Des excès de torpeur accrochaient dans les coulisses de sa carrière des fanfreluches de débauches, un surplus de luxure qui fluctue au vu et au su des fioritures, d’un venin qui ternit son chic. 

Un soir au détour d’une accolade trop proche avec la salacité de son reflet, le poison de son orgueil avait embrassé le souhait de contempler la tranquillité au crépuscule d’une représentation qui ne cessait ne combler l’audience de lassitude plus que de merveille, et Narcisse dut enclencher sur les lèvres la tessiture du vermeil. Son rouge à lèvre à moitié effacé, elle pénétra dans un café. Elle s’assit sur les banquettes, personne ne la regardait. Elle ne dit pas un mot, juste un signe de la main qui portait sur elle l’autre moitié de son baume. Le serveur s’avança, il comprit ce qu’elle demandait. Elle devait s’imaginer ce qu’était sa vie, ce qu’elle deviendrait. Il lui apporta deux cafés dans un gobelet ; et cela l’amusait. 

C’était donc ici que je l’avais vu, cette inconnue que je retrouvais. 

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