Douces Folies d’Italie

Acte II

VENISE EST BELLE ET CRUELLE
Une nuit sans étoile dans la belle ville de Venise. A l’intérieur d’un palais vénitien, au XVIe siècle. Une chambre ouvragée dans l’obscurité, avec à gauche une porte d’entrée, lourde mais s’ouvrant en silence, et à l’autre bout un lit à baldaquin avec des draps en soie. L’arrière plan se compose de boiseries et tapisseries sur les murs racontant l’amour galant et les exploits vénitiens, d’une fenêtre vers l’extérieur et d’une cheminée massive.. Au premier table se trouve une simple table, vide à cette heure tardive.


Lorenzo, en tenue sombre de soldat ferme la porte derrière lui, le plus discrètement possible. Caterina l’attend déjà, proche de son lit, debout, dans une tenue claire que l’on devine.

Scène II

Lorenzo
Chuchotant tout en s’approchant de la table

Oh Caterina, ma chère Caterina,
L’heure est bien tardive, mais enfin me voilà.
Ombre se terrant dans la noirceur de minuit,
Je vous discerne, clarté au cœur de la nuit.

Pose la lanterne sur une table.
Caterina
S’approche à la lueur de la lanterne rouge, à côté de la table

Oh ! Vous voilà enfin mon très cher Lorenzo,
Que le temps m’a semblé long, seule au Palazzo !
Comme Pénélope dans l’attente d’Ulysse,
Je me languissais, isolée dans les coulisses.

Lorenzo
S’approche d’elle

Mais hélas, il me faut repartir au matin,
Les Français sont à la porte des Florentins.
Il sera de mon devoir de les pourchasser.
Pour cela, votre père me paie bien assez !
Douce folie que d’aimer la fille d’un doge…
Ce n’est que pour vous que ma morale déroge.

Caterina
Ah ! Rien n’est plus horrible qu’une fichue guerre !
Ne se passe-t-il rien d’autre sur cette terre ?
Qui diable a mené ce roi à cette folie ?
Quitter les fastes de Paris pour l’Italie…
Voyez les peines que ce prince nous inflige.
Les monarques devraient régler seuls leurs litiges.
N’a-t-il pas assez de richesse à ses atours,
Pour vouloir conquérir notre Botte en ce jour ?

Lorenzo
Je ne suis que l’instrument de la volonté…
Il me faudra bien châtier cet effronté !
Mais je reviendrai ! Empli de gloire et d’argent !
Pour vous demander en mariage céans !
Toute la péninsule connaîtra mon nom,
Je serai enfin digne de votre renom !

Caterina
Fou que vous êtes ! Revenez-moi donc vivant !
Les hommes sont trop bêtes quand on parle d’armes,
Ils s’éloignent de leurs pauvres femmes en larmes.
En votre absence, mon cœur compte les secondes,
Tandis que mon âme et mon esprit se morfondent.
Ayez donc la bonté de rester en arrière.
Bien à l’abri, dans une petite clairière.

Lorenzo
Pour me faire traiter de lâche ou de couard ?
Nul ne dira que Lorenzo est un froussard !
Je me dois d’y aller ! Il en va de l’honneur !

Caterina
L’honneur ! Je lui préfère cent fois le bonheur !
J’ai si peur de voir revenir votre cercueil.
Même pas mariée et me voilà en deuil !
Si seulement vous lâchiez un peu cette épée !
Accordez-vous enfin de vivre un peu en paix !

Lorenzo
C’est pourtant là le triste sort d’un condottiere.
Guerroyer chaque jour vers une autre frontière…

Caterina
Jurez de me revenir en chair et en os !
Ainsi, au printemps, nous célébrerons nos noces !

Lorenzo
S’approche d’elle et pose sa main sur la sienne

Je le promets solennellement devant vous !
Quand je reviendrai, je deviendrai votre époux !

Caterina
Enlève délicatement sa main

Et bien n’imaginez pas repartir un jour,
Car vous payerez cher chaque manque à l’Amour !

Lorenzo
Approchant de nouveau sa main

Pour l’éternité, à vos côtés, ma promise.
Après la guerre, je resterai à Venise.

Prenant sa main doucement

Maintenant, laissez-moi une dernière fois,
Vous exprimer mon affection et ma foi.
Je serai toujours votre brave myrmidon.
Chantant notre passion comme Céladon.
Divine Caterina ! Reine de mon monde,
Ma déesse, soleil de ma vie moribonde !
Votre amour m’emplit d’une puissance invincible,
Avec vous dans mon cœur, tout me sera possible !

S’agenouillant devant elle, en gardant sa main

Donnez-moi votre sainte bénédiction !

Caterina
Pose délicatement son autre main sur sa tête puis la retire

Je le fais avec une grande affliction.
Lorenzo ! Si vous saviez comme je vous aime ;
Que jamais ne sonne l’heure du requiem.
Je conserverai votre espoir comme une flamme,
Votre trop longue absence meurtrira mon âme.
Seul votre retour me guérira de mes maux,
Mais pour ce soir, enivrez moi de vos doux mots.
Gardons cette dernière nuit pour vous et moi !
Une dernière nuit dont nous serons les rois.
Je vous écouterai religieusement,
Mon regard répondra de tous mes sentiments.

Lorenzo
Relève son regard vers Caterina

Oh ! Que j’aimerais ne connaître que vos yeux !
Et ne jamais avoir à faire mes adieux…
Juste un regard, ou à vos lèvres un sourire…
Oh ! Mais comme il m’est difficile de partir…
Si on nomme Venise, la Sérénissime,
Vous en êtes assurément le millésime !
Je m’adresse à vous, ma chère Caterina.
Pour qui je reviendrai encore sur mes pas.
Je soupire déjà de ne plus vous revoir.
Mon cœur, doucement, se remplit de désespoir.
Guettez chaque jour mon retour au Campanile.
Je vous promets de revenir de cet exil.
Si vous me voyez, descendez à San Marco.
Ensuite, regagnez cette pièce au plus tôt.

Montre la lanterne

Gardez ceci, que je puisse vous reconnaître,
Déposez là simplement à votre fenêtre,
En voyant cette lanterne rouge enflammée,
Je viendrai vous retrouver enfin, mon aimée !

Lorenzo embrasse sa main doucement et se retire délicatement dans l’ombre en gardant une posture courbée tandis que Caterina se laisse choir de tristesse au sol lentement.