Résumé de l’Acte I : Monsieur le comte Duplessis de la Vrillère, un écrivain trop fort peu honnête, n’a jamais paru aucun ouvrage sans que Vérance ne l’ait écrit. Alors que, par un hiver trop orageux, Vérance loge chez son bienfaiteur, le comte lui avoue désirer paraître de nouvelles pages, une nouvelle histoire. Outrage ! Car Vérance, analphabète sans imagination, n’a jamais écrit aucun texte : c’était l’œuvre d’un ami trop discret qui n’a jamais revendiqué la paternité de ses essais. Rémunéré d’un copieux forfait, Vérance s’y engage, mais son ami écrivain a disparu.
L’Acte II commence dans l’atelier de Vérance, au palais du comte ; c’est une pièce étroite, sans tapisserie, sans tableaux. Il n’a qu’un lit de draps blancs, un bureau pour écrire et une chaise qui tangue. La porte a des gonds rouillés et grince sourdement, et un petit œil–de–bœuf éclaire la chambre d’une lumière apaisante.
Acte II, scène 1
Vérance, Maranel
Vérance
(en entendant la porte de son atelier s’ouvrir)
Qui vient là ?
Maranel
C’est moi Maranel, Messire,
Je viens dans l’impatience de vous voir écrire.
Vérance
(à lui-même)
Par tous les diables ! Voilà le comte qui m’envoie son valais.
Qu’il s’en aille le bouffon, que jamais il ne sache
Cette infirmité que j’occulte, ce secret que je cache,
Rusons pour le faire fuir, je ne veux pas quitter le palais.
(à Maranel en s’enroulant de draps)
Las ! Malheureux, me voilà bien mal en point,
Je ne puis vous recevoir, je suis trop fiévreux.
Maranel
Bon Dieu ! Est-ce contagieux ?
Vérance
Terriblement. Pour vous, la prudence ordonne d’aller loin.
Maranel
(plaçant sa manche devant son nez)
Si fait, me voilà sûr.
Vérance
Si fait, vous voilà drôle !
En couvrant de votre pourpoint le museau
Je ne vous ouïs pas plus que le chat qui miaule.
Maranel
(énervé)
Écrivez donc, c’en devient trop !
Vérance
(en regardant autour de lui)
Las, mon ami. L’hiver, ce jour, est bien rude, voyez :
Mon atelier est bien froid, et l’encre a gelé.
Je ne puis donc pas écrire, voilà la vérité.
Maranel
Alors cette histoire, vous pouvez me la conter.
Vérance
(à lui-même)
L’occasion est trop belle, je me dois l’effrayer.
(à Maranel, en se recouvrant la tête du drap)
C’est une histoire de fantôme.
Maranel
Horreur !
Vérance
(agitant les bras)
Quiconque le voyait en avait peur,
Et cette crainte le rassasie, de fait : il grandit
(Vérance monte sur une chaise)
Maranel
Quel rêve Vérance !
Vérance
C’est toi qui le dit.
(Vérance tombe de la chaise)
Maranel
La chute est belle.
Vérance
Elle ne me convient guère.
Maranel
Le style est pauvre, l’histoire sans morale,
Comment pourrai-je en dire quelque bien ?
Je connais votre aisance à l’oral,
Mais d’un écrivain vous n’avez rien.
Vérance
(en retirant son drap de la tête)
Je suis découvert.
Maranel
Allons, pas de panique :
Le poète n’est pas homme d’abandon.
Ne doutez point, regagnez l’antique,
Méduse et la Toison, de Thésée à Jason.
Et lors de ces douloureux moment d’errance
Coupez l’Hydre à la racine, buvez l’eau de la fontaine.
Sortez les vieux maîtres, faites-le sans gêne ;
Persée et Vérance font persévérance.
Vérance
Il me serait d’un grand déplaisir
De ne pas suivre tes boniments.
Que dois-je penser à présent ? Que dois-je lire ?
J’ai toutefois un bon argument :
C’est bien toi qui a causé ce marasme ;
Alors, délivre m’en !
Maranel
Moi ? Quel sarcasme ! Puisqu’il en va ainsi, prenez une plume.
Vérance
(s’asseyant à son bureau et griffonnant, puis tendant sa copie à Maranel)
C’est fait. Apprécies-tu ?
Maranel
Ça me répugne.
Vérance
(recommençant)
Vois cette fois-ci.
Maranel
C’est guère mieux que l’autre…
Il serait bon d’avouer, en bon apôtre.
Vérance
(s’énervant)
Le flot de mes mots tapisse cette page
D’une encre sèche, d’une complainte mesurée
Quand éclatent les critiques d’un petit page
Sous une pluie de blâme, j’attendais la rosée.
L’arche de ces quelques lettres prises dans le déluge
Engloutie de ces remarques diluviennes
Parut cet hiver ne trouver de refuge
Et ma feuille gaugée, encore qu’elle m’appartienne,
Saurait m’être arrachée qu’on me juge.
Hélas, serai-je donc cet otage
De ce torrent d’insultes qui se déverse,
Ce crachin crachant comme une averse ?
Qu’on boive mes paroles. Quoi ! Qu’il s’abreuve de mes rimes !
N’avez-vous pas saisi le sens, le contexte ?
Alors que mes vers, à la postérité, jamais ne priment :
Je ne suis bon qu’à faire de mauvais textes.
Maranel
Point trop d’énervement, c’est ridicule !
Vérance
Ha ! Que vous portez bien votre nom,
On vous dira têtu comme une mule
Qui galope dans la même direction.
Maranel
Pourquoi donc cette histoire de trot ?
Vérance
(après un silence, pensif)
Cette commande du comte, avouons, Est vraiment une histoire de trop.